« Rendons moins myope le marché européen de l'électricité » (Nicolas Goldberg, Terra Nova)
« Il n’y a pas de formule magique qui nous permettra de décorréler les prix de l’électricité de ceux du gaz. Le signal que nous envoie le marché européen de l'électricité est un signal de pénurie et de trop grande dépendance aux énergies fossiles. Ce n’est pas une règle administrative qui nous donnera du jour au lendemain des prix à 40€ le MWh
Mégawatt-heure
sur nos factures. Par conséquent, il faut bien analyser le marché, le rendre moins myope, mettre en place des mécanismes de long terme, permettre une forme de concurrence, introduire plus de Contract for difference pour favoriser l’innovation », déclare Nicolas Goldberg, senior manager énergie et environnement à Colombus Consulting et responsable énergie du think tank Terra Nova, à l’occasion de la présentation au ministère de la Transition énergétique du rapport « Décorréler les prix de l’électricité de ceux du gaz : mission impossible ? », le 03/02/2023.
Nicolas Goldberg était au côté d’Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique, et d’Antoine Guillou, ingénieur et économiste de l'énergie, co-auteur du rapport de Terra Nova.
« La Commission européenne a lancé le 23/01/2023 une consultation publique sur la réforme de l’organisation du marché de l’électricité de l’Union européenne. La consultation se terminera le 13/02/2023. La Commission s’est engagée à proposer un texte le 23/03/2023. Le calendrier est soutenu en terme de discussions. La France va devoir mettre de la pression politique », indique Agnès Pannier-Runacher.
News Tank rend compte des échanges.
« Un marché paradoxal » (Agnès Pannier-Runacher)
« La réforme du marché de l’électricité est essentielle dans la réussite du Green deal »
- « Premier constat : le marché européen de l’électricité fonctionne bien à court terme. Il permet d’avoir des équilibres et de fournir de l’électricité à tout le monde. Il s’agit du premier marché intégré du monde. L’un des enjeux est évidemment de ne pas casser ces mécanismes qui fonctionnent très bien.
- En revanche, c’est un marché paradoxal qui n’envoie pas des signaux dans le bon sens et nous devons investir massivement dans de nouvelles capacités de production décarbonées. Il n’invite pas à prendre des risques à 20 ans. Notre conviction : la réforme du marché de l’électricité est essentielle dans la réussite du Green deal et un élément de réponse à l’Inflation reduction act américain. »
« Produire et moins consommer »
- « Quand la Russie utilise le gaz comme arme de guerre, c’est un choc exogène majeur sur le système. Dire le contraire est un mensonge. L’électricité européenne est produite à 22 % sur une base gaz. Si vous faites disparaître l’accès à la ressource gaz, vous avez un sujet sur le prix de l’électricité.
- Inversement, au moment du Covid, les producteurs ont eu un effondrement des prix de l’électricité avec des coûts de production, pour certains, inférieurs aux coûts vendus sur les marchés. Ce n’est pas une situation saine pour investir sur le long terme.
- La meilleure façon de faire baisser le prix de l’électricité est d’en produire et d’en consommer moins. On a tendance en France à considérer qu’une espèce de souveraineté énergétique aurait été perdue. Le fait que nous soyons dépendants du gaz, du pétrole, des énergies fossiles non produites sur notre sol et que nous ayons fait des choix de production avec le nucléaire a un impact direct sur les prix de notre marché de l’énergie.
- Par conséquent, si nous avons la maîtrise de notre production, nous sommes en capacité d’induire un niveau de prix au plus proche de la réalité physique des coûts de production. »
L’Arenh Accès Régulé à l’Electricité Nucléaire Historique
- « L’Arenh, fixé à 42 €/MWh Mégawatt-heure , est le seul prix qui n’a pas connu l’inflation depuis 2010. En réalité, si on actualisait le coût de la production de notre mix nucléaire ajouté à la connexion de l'EPR European Pressurized Reactor de Flamanville, sans le coût du renouvellement du parc, en 2023, nous serions, selon les chiffrages, à 57/58 €. Notre enjeu aujourd’hui est de produire plus et de manière compétitive. Toutes les énergies ne produisent pas au même prix.
- Sur le design de marché, il faut sortir la boite à outils. Il faut regarder du côté des Power Purchase Agreements, contrats à long terme, libres sur le marché, qui donnent de la profondeur au marché ; du côté aussi des contracts for difference pour réguler ; et du côté du mécanisme de capacité qui fonctionne bien en France où des unités de production sont appelées en dernier au moment quand il y a des pics de consommation et une tension très forte sur le réseau. »
« La France va devoir mettre de la pression politique »
- « La Commission européenne a lancé le 23/01/2023 une consultation publique sur la réforme de l’organisation du marché de l’électricité de l’Union européenne. La consultation se terminera le 13/02/2023. La Commission s’est engagée à proposer un texte le 23/03/2023. Le calendrier est soutenu en terme de discussions. La France va devoir mettre de la pression politique ».
Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique
« Permettre une forme de concurrence » (Nicolas Goldberg)
« Le marché permet bien l’optimisation du système électrique »
- « Sur le plan politique, le fait de demander de sortir du marché européen sous-entend pratiquement la sortie de l’Europe. Soyons prudents : on peut critiquer ce marché européen mais attention aux objectifs politiques qui sont derrière, teintés d’euroscepticisme.
- On a entendu des tas de choses sur ce marché, comme par exemple le fait que les prix de l’électricité étaient indexés sur ceux du gaz pour faire plaisir aux Allemands ou que l’Espagne et le Portugal étaient sortis du marché, ce qui est totalement faux. Les Espagnols et les Portugais ont mis en place un mécanisme qui permet de brûler plus de gaz pour caper les prix de gros sans nécessairement caper les prix de détail, ce qui est un bénéfice limité pour le consommateur.
- Le Royaume-Uni est, lui, bien sorti du marché européen avec le Brexit. Et bizarrement, on les prend rarement en exemple, car leurs factures ne sont pas jolies à voir. Si vous regardez les prix de gros, il y a beaucoup plus de volatilité.
- Le marché permet bien l’optimisation du système électrique. Le fonctionnement au coût marginal permet que cela soit toujours la centrale la moins chère qui est appelée pour équilibrer le réseau. Avec un autre système, nous aurions une envolée des prix qui seraient pénalisants pour le consommateur. Sans oublier que l’articulation des marchés permet l’optimisation des interconnexions. »
« Les moyens de production doivent évoluer dans un couloir de prix »
- « Toutefois, on peut critiquer les marchés. D’abord, ils sont myopes. Cela fonctionne très bien à court terme pour optimiser, mais ils sont incomplets pour organiser le long terme et, du coup, auto-organisent une pénurie. Ils créent des rentes inframarginales de rareté et des risques de sécurité d’approvisionnement. Pour caper les rentes de rareté, certaines choses ont été faites au niveau européen comme la taxation des sur-profits.
- Dans nos recommandations, nous proposons que les moyens de production évoluent dans un couloir de prix avec des prix plancher et des prix plafond, ou avec le système des contract for difference (CFD) qui existe dans les EnR Énergies renouvelables et le nucléaire.
- Ce système établit un contrat à long-terme entre le producteur-investisseur et une contrepartie publique représentant les consommateurs. Ce contrat réduit le risque pour l’investisseur en lui garantissant un prix de vente (sous la forme d’une prime à verser entre le prix du marché de gros et le prix garanti) sur la durée nécessaire à une rentabilisation raisonnable de son investissement initial. Il peut ainsi se concentrer sur les risques qu’il est le mieux à même de maîtriser.
- Cela nous permettrait de caper certaines rentes et de les utiliser comme cela est fait pour le bouclier tarifaire, ou pour réinvestir. Pour les moyens de production, on peut imaginer des appels d’offre où l’État, via ces plafonds de revenus, pourrait investir des GW Gigawatt d’éolien offshore, de solaire ou de nucléaire.
- Au-delà de l’État, il faut permettre à ce marché de vivre. C’est la raison pour laquelle nous proposons des contrats à long terme pour redonner goût aux investissements afin qu’il y ait une forme de concurrence dynamisant le marché.
- Sur la rémunération des capacités installées, soit le système des CFD suffit, soit ce n’est pas le cas et l’histoire nous appelle à être assez modestes sur l’étendue des mécanismes mis en place. Car on peut imaginer un écroulement du marché avec une envolée des prix. Une chose est sûre : l’Europe doit harmoniser entre les pays les règles des mécanismes de capacité. »
« Il n’y a pas de formule magique »
- « Enfin, dans notre rapport, nous disons qu’il n’y a pas de formule magique qui nous permettra de décorréler les prix de l’électricité de ceux du gaz. Le signal que nous envoie le marché est un signal de pénurie et de trop grande dépendance aux énergies fossiles. Ce n’est pas une règle administrative qui nous donnera du jour au lendemain des prix à 40€ le MWh sur nos factures.
- Par conséquent, il faut bien analyser le marché, le rendre moins myope, mettre en place des mécanismes de long terme, permettre une forme de concurrence, introduire plus de contract for difference pour favoriser l’innovation. »
Nicolas Goldberg, senior manager énergie et environnement à Colombus Consulting et responsable énergie à Terra Nova
« Le marché de détail au cœur du dysfonctionnement » (Antoine Guillou)
La question de la propagation de la volatilité des prix
- « L’autre grande critique que nous adressons dans le rapport est la question de la propagation de la volatilité des prix aux consommateurs finals révélée par la crise énergétique actuelle. Cette volatilité est incompréhensible à partir du moment où on progresse dans la transition énergétique et où le parc énergétique européen est de plus en plus constitué de moyens de production décarbonés et essentiellement à coûts fixes.
- C’est encore plus incompréhensible en France où nous avons un parc de production historiquement décarboné dans sa grande majorité et à coûts fixes. Ce n’est pas le marché de gros qui est en tort, il est conçu pour être volatile, car, pour optimiser en temps réel, il faut refléter la réalité toutes les demi-heures.
- Par conséquent cette volatilité sur le marché de gros est naturelle et permet d’optimiser le système d’un point de vue économique à l’instant T. En revanche, ce qui est anormal, c’est que cette volatilité se transmette au consommateur. »
« Une régulation insuffisante »
- « Le marché de détail est du coup celui qui est en cause dans le dysfonctionnement. Le lien entre le marché de gros et le consommateur, par l’intermédiaire du marché de détail, est un lien trop direct dans la mesure où, trop souvent, les fournisseurs se retrouvent à proposer des offres qui, de facto, reflètent la volatilité des prix sur le marché de gros. Dans ce marché de détail, ne pèsent pas aujourd’hui sur les fournisseurs une régulation suffisante.
- Nous proposons de travailler sur un système de régulation plus fort grâce auquel on demanderait aux fournisseurs de prouver qu’ils ont les capacités de couverture. On doit pouvoir s’assurer qu’ils ne tombent pas dans des situations où ils se retrouveraient à abandonner les consommateurs en rase campagne parce qu’il est plus avantageux de les abandonner au lieu d’assurer leurs approvisionnements.
- En contrepartie, les clients particuliers doivent s’engager plus sur le long terme dans leurs contrats. »
Antoine Guillou, ingénieur et économiste de l'énergie
Contact
Suzanne Gorge
Responsable du mécénat et des partenariats
Terra Nova
06 10 65 15 42
suzanne.gorge@tnova.fr
Nicolas Goldberg
Senior manager énergie et environnement @ Colombus Consulting
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Parcours
Senior manager énergie et environnement
Consultant senior énergie
Fiche n° 47285, créée le 21/09/2022 à 12:24 - MàJ le 21/09/2022 à 12:28

Agnès Pannier-Runacher
Ministre de la Transition énergétique @ Ministère de la Transition énergétique
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Parcours
Ministre de la Transition énergétique
Ministre déléguée chargée de l’Industrie
Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances
Directrice générale déléguée Finances Stratégie, Développement, Juridique et DSIO
Directrice de la division client
Directrice
Directrice adjointe finance et stratégie
Directrice de cabinet de la directrice générale
Établissement & diplôme
Diplômée
Diplômée
Diplômée
Fiche n° 46141, créée le 20/05/2022 à 16:09 - MàJ le 20/05/2022 à 17:18