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« L’un des intérêts de l’hydrogène naturel est son coût » (Isabelle Moretti, Université de Pau)

News Tank Energies - Paris - Interview n°310278 - Publié le 21/12/2023 à 18:00
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Isabelle Moretti - ©  D.R.

« L’un des intérêts de l’hydrogène naturel est son coût : il devrait être 8 fois moins cher que l’hydrogène produit par électrolyse. Il sort à 50 centimes d’euros le kilo au Mali, et il est annoncé en Espagne à environ 1 € le kilo. À côté, l’hydrogène produit grâce au méthane est à 2 $ le kilo (1,82 €/kilo) », déclare Isabelle Moretti, chercheuse à l’UPPA (Université de Pau et des Pays de l’Adour), à News Tank le 21/12/2023. 

L’hydrogène natif, autrement appelé naturel ou blanc, désigne un hydrogène qui se trouve dans la nature et exploitable sans avoir à le transformer.

« Les politiques devront accélérer réellement la possibilité pour les industriels d’explorer et de produire cet hydrogène naturel et il faudrait aussi aider davantage la recherche publique dans le domaine. Les gens raisonnables voient d’un bon œil tous les hydrogènes décarbonés, dont le naturel. »

Potentiel du sous-sol français, stratégie française, mix énergétique : Isabelle Moretti répond aux questions de News Tank.


La France a délivré le premier permis de recherches d’hydrogène naturel dans son sous-sol en décembre 2023. Pourquoi ne pas l’avoir fait plus tôt ?

Longtemps, on a considéré que l’hydrogène naturel n’existait pas ou qu’on ne pouvait pas le trouver à l’état libre et gazeux sous terre. Et puis, il y a eu au Mali, au détour d’un forage pour trouver de l’eau, la découverte d’hydrogène naturel. En Russie aussi, on en a trouvé sous terre. Au niveau des géosciences, la chose était prouvée.

Ensuite, il est apparu dans le monde de l’énergie que l’hydrogène pouvait peut-être permettre de stocker des EnR Énergies renouvelables grâce au power-to-gaz, par électrolyse. En parallèle, il est devenu évident que pour passer la rampe économique de l’hydrogène, il fallait trouver d’autres modes de génération d’un hydrogène décarboné. Cet ensemble d’événements a fait passer l’hydrogène naturel sur le devant de la scène. Ensuite, il a fallu le mettre dans la législation française. 

L’hydrogène est légalement considéré comme une ressource naturelle depuis le printemps 2022. À la suite de cela, des entreprises ont demandé des permis de recherche, et le ministère de la Transition énergétique a mis 18 mois à y répondre. Comparativement, dans la même configuration, le gouvernement allemand met deux mois et demi à répondre aux demandes d’exploration du sous-sol pour de l’hélium. Nous n’allons pas assez vite. 

Quel est le potentiel du sous-sol français ? 

L’hydrogène naturel est 8 fois moins cher que l’hydrogène produit par électrolyse »

Nous n’en avons aucune idée, car nous n’avons pas encore foré. Par ailleurs, il faut séparer la quantité présente dans une zone, la ressource, de la réserve prouvée. Nous n’avons aucun élément qui s’apparente à une réserve et encore moins à un gisement.

À quoi pourrait servir l’hydrogène naturel ?

Les utilisations suivantes sont les mêmes pour tous les autres hydrogènes : la chimie, fabriquer des engrais, être utilisé comme carburant ou comme source d’énergie.

Au Mali, l’hydrogène blanc est à 98 % pur, il est utilisé tel quel pour faire de l’électricité. Dans d’autres cas, il doit y avoir des travaux pour déterminer s’il faut le purifier ou si l’on peut l’utiliser tel quel. Par ailleurs, il existe encore trop peu de puits dans le monde pour savoir à quel niveau il sera pur en France. 

Quoi qu’il en soit, ce potentiel hydrogène naturel nous ouvre des perspectives pour ne pas avoir à importer d’hydrogène tout en atteignant nos objectifs. Reste à déterminer ce que l’on va consommer, dans quels domaines et où. Une utilisation locale sera sans doute à privilégier. 

L’un des intérêts de l’hydrogène naturel est son coût : il devrait être 8 fois moins cher que l’hydrogène produit par électrolyse. Il sort à 50 centimes d’euros le kilo au Mali, et il est annoncé en Espagne à environ 1 € le kilo. À côté, l’hydrogène produit grâce au méthane est à 2 $ le kilo (1,82 €/kilo). Dans les avantages de l’hydrogène naturel, il faut aussi noter que sa production ne consomme quasiment pas d’énergie ni d’eau contrairement à tous les autres.

Quels sont les compétiteurs mondiaux dans le domaine ?

En France, nous avions un temps d’avance sur la recherche ; nous nous faisons doubler »

L’Australie a, dès les premières publications sur l’hydrogène naturel, adapté sa loi minière. Les premiers permis ont été attribués et les forages ont commencé entre septembre et octobre 2023. Du côté des États-Unis, on a trouvé depuis longtemps de l’H2 Hydrogène natif, dans le cadre de forages pour des hydrocarbures, mais la recherche n’était jusqu’alors pas suffisamment à la pointe.

Le Gouvernement vient de mettre 20 M$ (18,24 M€) pour la recherche publique dans ce domaine. D’autres ont également mis de l’argent, comme Breakthrough energy, une fondation de Bill Gates, et Koloma, qui a désormais 90 M$ (82,10 M€) à investir dans l’exploration de l’hydrogène naturel. 

En France, nous avions un temps d’avance sur la recherche - la Nouvelle-Aquitaine a, par exemple, lancé une estimation de son sous-sol en 2020 -, mais nous nous faisons doubler allègrement. Il existe un plan de recherche prioritaire sur les sous-sols français, mais il n’a pas encore réellement commencé et les sommes investies dédiées à l’hydrogène naturel n’ont rien à voir avec celles des États-Unis. 

Au niveau européen, certains demandent un projet inter États membres, pour étudier notamment le potentiel global du sous-sol, mais il n’y a rien de concret pour l’instant au niveau des institutions. Néanmoins, au niveau des entreprises et de la recherche, les gens se mobilisent. L’Université de Pau et des Pays de l’Adour fait par exemple partie de Earth2, une initiative d’une quarantaine de membres européens visant à étudier le potentiel de la ressource et du stockage, et initiée par le pôle de compétitivité Avenia. 

La nouvelle stratégie française de l’hydrogène pour le déploiement de l’hydrogène décarboné, en consultation jusqu’au 19/01/2024, propose de réaliser une étude exploratoire sur l’hydrogène naturel. Est-ce que cela pourrait faire basculer la filière ?

Les politiques vont devoir accélérer réellement la possibilité pour les industriels de travailler avec l’hydrogène naturel et aider davantage la recherche publique dans le domaine. 

Mais il existe des « anti », notamment les pro-nucléaires, qui préfèrent l’électrolyse à partir d’énergie nucléaire, et des entreprises ayant investi dans des électrolyseurs. Et c’est sans compter ceux qui sont contre les forages, quels qu’ils soient. 

Est-ce que l’hydrogène blanc sera la prochaine source d’énergie majeure capable de nous faire sortir des énergies fossiles ?

Avoir localement, sur chaque territoire, un mix énergétique adapté »

Nous cherchons une solution miracle alors que nous avons plein de sources d’énergie différentes. Plutôt que d’avoir un mix énergétique uniforme en France, il serait bon d’avoir localement, sur chaque territoire, un mix adapté. Cela éviterait du gaspillage, avec des réseaux peu utilisés et des pertes énergétiques inhérentes au transport. Certains territoires pourraient devenir autonomes en hydrogène et d’autres non. 

Quant aux énergies fossiles, le pétrole et le gaz, qui ont certes des inconvénients en termes d’émissions de CO2, ont des intérêts en termes de concentration d’énergie. À volume égal, on ne sait pour l’instant pas faire mieux. J’espère que nous irons vers une recherche locale du mix plutôt qu’une approche uniforme et mondiale.

Isabelle Moretti


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Parcours

Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA)
Chercheuse associée en géosciences
Académie des technologies
Membre
Société Géologique de France (SGF) 
Administratrice
UMR - ISTEP Institut des sciences de la Terre Paris
Chercheuse associée
Agence Nationale de la Recherche (ANR)
Présidente référente des Chaires industrielles
Groupe de recherche européen sur le gaz
Présidente
Engie
Directrice scientifique
Engie
Directrice des technologies
Engie
Experte en géologie

Établissement & diplôme

Université Paris-Saclay (EPE)
Thèse d'État en géologie (avec IFP)
Université Paris-Saclay (EPE)
Doctorat en géodynamique (avec l’IRD)

Fiche n° 50555, créée le 21/12/2023 à 14:33 - MàJ le 04/01/2024 à 14:31

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