« L’énergie fait partie du projet politique européen » (Adina Revol, autrice)
« L’énergie fait partie depuis toujours du projet politique européen », déclare Adina Revol, ancienne porte-parole de la Commission européenne
Principal organe exécutif de l’Union européenne• Rôles et missions :- Participe à la stratégie globale de l’UE- Propose de nouvelles législations et politiques, assure le suivi de leur mise en…
en France (2021-2024) et autrice du livre “Rompre avec la Russie, le réveil énergétique européen”, à News Tank le 23/10/2024.
« L’Europe a été construite sur l’énergie : le charbon, l’acier, le nucléaire. Le projet européen a toujours eu un objectif de compétitivité, de croissance, d’indépendance énergétique et technologique. C’est dans les fondements de l’UE
Union européenne
. »
Dans son livre “Rompre avec la Russie, le réveil énergétique européen”, Adina Revol détaille les connexions énergétiques entre l’UE et la Russie et l’avenir sans elles.
Les importations de gaz russe sont passées de 41 % en 2021 à 15 % en 2023 ; en juin 2024, elles étaient de 18 %, une augmentation due au GNL
Gaz naturel liquéfié
. L’UE a sanctionné pour la première fois le gaz russe en juin 2024 ; les sanctions seront effectives en mars 2025, avec l’interdiction du transfert du GNL russe dans les ports européens.
Adina Revol rappelle le coût de l’affranchissement du gaz russe, de l’ordre de 210 Md€ d’ici 2027. Ce sont les investissements nécessaires pour mettre en œuvre le plan de sortie appelée « RePowerEU
Action européenne conjointe en faveur d’une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable
». Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a chargé le futur commissaire à l’énergie de présenter une feuille de route pour garantir une sortie complète du gaz russe d’ici 2027.
Indépendance européenne, GNL russe, achats groupés de gaz : Adina Revol répond aux questions de News Tank.
Pourquoi écrire un livre sur les connexions énergétiques entre l'UE Organe institutionnel exécutif de l’Union européenne qui examine, modifie et adopte des actes législatifs et coordonne les politiques des pays membres.• Création : 1952• Missions :- négocier et… et la Russie ?
Le déclic a été la crise de 2022. La géopolitique de l’énergie est entrée dans la vie de chaque citoyen, le sujet est devenu concret. Auparavant, le sujet était cantonné aux débats au niveau académique et politique. Ce livre explique comment on en est arrivé à une forte dépendance de l’UE vis-à-vis de la Russie et ce qu’a fait l’UE pour en sortir.
Alors que la guerre russo-ukrainienne a été déclenchée en février 2022, les Européens ont décidé d’en finir avec le gaz russe en mars et REPowerEU Action européenne conjointe en faveur d’une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable a été élaboré en mai de la même année. Il y a eu une détermination à rompre rapidement avec la Russie, ce qui a pris Vladimir Poutine de court.
Le sujet est d’autant plus important pour l’histoire de l’UE que l’Europe a été construite sur l’énergie : le charbon, l’acier, le nucléaire. L’UE a toujours eu cet objectif de compétitivité, de croissance et d’indépendance énergétique et technologique. C’est dans les fondements de l’UE. L’énergie fait partie du projet politique européen.
Aujourd’hui, l’énergie, c’est plus que jamais au cœur de l’avenir de l’UE.
Quelles étaient les dépendances gazières de l’UE et de ses États membres envers la Russie avant 2022 ?
En 2021, les Européens ont importé 45 % de leur gaz de Russie. C’est une dépendance stratégique qui s’est construite dans le temps.
À la suite de l’Ostpolitik, la normalisation des relations entre l’Allemagne de l’Ouest et l’URSS voulue dans les années 1970 par le chancelier allemand Willy Brandt, la Russie a réussi, dans la durée, à inonder le marché européen avec du gaz très bon marché et à diviser les Européens. Certains, à l’Est, ayant fait partie de l’ancien bloc communiste, alertaient sur le danger de ce que j’appelle dans le livre « le facteur russe ».
Pourtant, la stratégie russe a fonctionné. Certains projets de diversification, qui impliquaient la construction de nouveaux terminaux de GNL n’ont pas abouti, n’étant pas rentables face au gaz russe bon marché. Ensuite, certains gazoducs russes comme Nord Stream et South Stream ont divisé les Européens. Il n’y avait pas de vision commune sur le gaz russe.
Malgré ce manque de vision commune sur le gaz russe avant l’invasion de l’Ukraine, l’Europe a été prête en 2022, lorsque Vladimir Poutine a demandé le paiement du gaz en roubles, puis coupé la distribution via Nord Stream. La solidarité européenne a pu se mettre en marche, car des investissements stratégiques avaient été faits pour sécuriser l’Europe. Nous, citoyens européens, n’avons pas expérimenté de coupure, contrairement à 2006 ou 2009.
Le GNL russe est visé par le 14e train de sanctions adopté par le Conseil de l’UE en juin 2024. Pourquoi avoir attendu plus de deux ans pour le sanctionner ?
Faire plus de mal à l’économie russe qu’à l’économie européenne »L’idée est de faire plus de mal à l’économie russe qu’à l’économie européenne, c’est pourquoi il a fallu attendre. L’Europe peut désormais se passer du gaz russe et Vladimir Poutine utilise les ports européens pour envoyer du GNL en Asie. Il s’agit de couper davantage les entrées gazières russes. Bien qu’effectives en mars 2025, elles ont déjà un impact sur les volumes, notamment dans le port de Zeebrugge (Belgique).
Pour la première fois de son histoire, Gazprom a perdu 6,3 Md€ en 2023 à la suite de la rupture européenne avec le gaz russe. J’ajoute que l’entreprise fait face à un autre défi : les gazoducs de Gazprom vers l’Europe sont amortis, mais l’entreprise doit aujourd’hui en construire de nouveaux vers la Chine.
Les achats groupés de gaz ont commencé après le début de la guerre en Ukraine. L’UE a réagi rapidement. Quel regard portez-vous sur cette initiative ?
L’achat groupé de gaz est une idée datant des années 1970. Elle a longtemps été vue comme impossible à mettre en œuvre. L’expérience des vaccins contre la Covid a montré aux Européens que l’union fait la force. Le mécanisme a permis d’acheter du gaz à un prix compétitif, à des fournisseurs fiables. 42 milliards de mètres cubes de gaz ont ainsi été achetés, c’est près d’un tiers des importations gazières de Russie en 2021. Il est particulièrement intéressant pour les PME Petite et moyenne entreprise et les marchés qui n’ont pas un accès privilégié au marché mondial, tels que les pays d’Europe centrale et orientale.
C’est un mécanisme qui est désormais pérenne. Il intègre aussi l’achat groupé pour l’hydrogène vert. Mario Draghi préconise dans son rapport une approche coordonnée pour l’achat des matières premières afin d’éviter la concurrence sur les marchés mondiaux. Dans tous les cas, l’enjeu est de ne pas remplacer une dépendance stratégique par une autre.
Comment financer l’indépendance énergétique de l’UE ?
Il faut aussi réfléchir aux taxes »Le NZIA Net zero industry act vise à fabriquer 40 % de technologies vertes dans l’UE à l’horizon 2030 pour reprendre le leadership industriel dans la transition climatique. Pour y parvenir, il importe de finaliser le marché européen de l’énergie pour avoir des prix compétitifs dans un marché fonctionnel. Enrico Letta rappelle dans son rapport l’importance de l’intégration énergétique, commencée il y a 30 ans déjà.
Le financement est un sujet crucial. La Commission européenne a mis en place des incitations normatives avec la taxonomie verte notamment et renforcé l’arsenal de défense commerciale avec la possibilité de sanctionner les entreprises étrangères bénéficiant des aides indues à l’intérieur de l’UE. Je rappelle que le plan de relance a déjà massivement investi dans la transition climatique. Pour autant, un « mur des investissements » est devant nous. Des idées sont mises en avant : un nouvel emprunt européen, comme le suggère Mario Draghi. En tout cas, les discussions sur le futur budget européen seront essentielles.
Il est important de libérer les capacités d’investissements privés en Europe grâce à l’Union de marché des capitaux. Les discussions sont toujours en cours, depuis de nombreuses années, mais le sujet a gagné en momentum politique.
Il faut aussi réfléchir aux taxes. Les taxes, c’est entre 30 et 40 % du prix final de l’énergie. Doivent-elles continuer à constituer une rentrée budgétaire de cet ordre-là dans un contexte où les prix finaux de l’énergie sont deux à trois fois supérieurs et pour le gaz quatre à cinq fois supérieur par rapport à nos concurrents mondiaux ? L’énergie, ce sont aussi des emplois. Des entreprises ferment à cause des prix de l’énergie trop importants ou choisissent de délocaliser. Et puis les prix sont essentiels pour l’acceptabilité de la transition.
L’UE doit passer de 22 % à 42,5 % d'EnR Énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale d’ici 2030. Comment y parvenir ?
La prochaine Commission doit présenter une feuille de route de l’électrification avec un dimensionnement clair de l’infrastructure réseau nécessaire. En parallèle, chaque État membre travaille sur des stratégies de déploiement des EnR selon l’optimisation des coûts. L’UE devra accompagner les filières et utiliser tous les instruments — normatifs, budgétaires — en ce sens. Le travail a déjà commencé, avec le lancement des alliances industrielles. Le rôle de la BEI Banque européenne d’investissement sera aussi important en termes de financement ; elle s’est donné comme objectif de devenir la banque européenne du climat.
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