Électricité : « L’équilibrage offre-demande, une construction de long terme » (Ivan Saillard, Enedis)
« Depuis une vingtaine d’années, la variabilité d’une part croissante de l’offre électrique (solaire et éolien principalement) qui se cumule à la variabilité de la demande, complexifie de fait la problématique de l’équilibrage et appelle à de nouveaux moyens d’action à la main des opérateurs de réseau. Il n’en reste pas moins vrai que l’anticipation de long terme et le partage d’une même culture de sûreté du système électrique par tous les acteurs restent des facteurs-clés », indique Ivan Saillard
Chef de département à la direction des Affaires publiques @ Enedis
, chef de département à la direction des Affaires publiques d’Enedis dans une analyse personnelle transmise à News Tank le 28/05/2025.
Ivan Saillard revient notamment sur les questions soulevées par l’équilibrage de l’offre et de la demande en électricité après le black-out espagnol et portugais du 28/04/2025.
L’équilibrage offre-demande en temps réel, résultante de décisions de gestion bien antérieures
« Aiguillonnées par le black-out espagnol et portugais du 28/04/2025, les questions soulevées par l’équilibrage de l’offre et de la demande en électricité ont déclenché une avalanche de commentaires sur les réseaux sociaux, sur les plateaux de télévision ou dans les officines parlementaires… Chacun a retenu que ce sont les gestionnaires des réseaux de transport électrique (Réseau de Transport d’Électricité
Gestionnaire du réseau de transport d’électricité français.- 106 874 km de lignes électriques (janvier 2024)• Création : 2000• Actionnariat : EDF (50,1 %), CDC (29,9 %) et CNP Assurances…
pour la France) qui ont en charge cette responsabilité essentielle et vitale pour les États et qu’elle se joue dans une vigilance de tous les instants des opérations “temps réel” focalisées sur la fréquence du réseau, véritable juge de paix de cet équilibre : quelques centièmes au-dessus ou au-dessous de la valeur centrale des 50 Hertz devant être impérativement corrigés en quelques secondes…
Peu d’observateurs en revanche rappellent que cette surveillance et cette maîtrise de l’équilibre en “temps réel” est la résultante d’une multitude de décisions de gestion et d’arbitrages bien antérieurs, étudiés plusieurs mois, voire plusieurs années à l’avance.
C’est en premier lieu les cycles de demande qu’il faut anticiper :
- Le cycle annuel des saisons module les besoins en chauffage, climatisation ou éclairage et détermine en premier lieu pour la France le planning d’arrêt pour maintenance et rechargement des réacteurs nucléaires (on place prioritairement ces arrêts pendant la saison estivale où la demande est entre la moitié et un tiers de la demande hivernale). Ce planning est établi sur trois ans et est actualisé mensuellement.
- Les cycles mensuel et hebdomadaire de demande, rythmés par l’activité économique (alternance jours travaillés/week-ends/vacances scolaires, etc.) déterminent en premier lieu l’usage des réserves hydrauliques : le remplissage des lacs s’effectue principalement en hiver et au printemps et il importe d’utiliser finement ces réserves rares en anticipant l’avenir et les nombreuses autres contraintes d’usage de l’eau (agriculture, tourisme, etc.). C’est aussi à ces échéances que sont souvent déterminés les programmes d’échanges d’énergie avec nos voisins européens.
- Enfin le cycle journalier principalement l’alternance jour/nuit détermine, à la marge des plannings des grands moyens déterminés antérieurement, l’usage des centrales à gaz et des réserves hydrauliques les plus souples (stations de pompage notamment).
Ajoutons enfin que les opérateurs du “temps réel” abordent non seulement l’équilibre offre demande munis de tous ces programmes étudiés et décidés antérieurement mais aussi de réserves de puissance électrique (aujourd’hui des “capacités') leur permettant de faire face, aidés de nombreux automatismes ultra-sophistiqués, aux aléas de toute nature pouvant se présenter à eux. C’est ainsi que, selon une doctrine de sûreté de fonctionnement du système électrique établie de longue date, est garanti l’approvisionnement électrique sûr du pays. »
Aujourd’hui, la variabilité d’une partie croissante de l’offre se cumule à la variabilité de la demande
« Depuis le début des années 2000 et la prise de conscience de l’impératif climatique, la montée en puissance progressive des énergies renouvelables électriques nouvelles (éolien et solaire) induit dans l’équation la variabilité croissante d’une partie de l’offre, qui vient se cumuler à la variabilité de la demande précitée :
- L’offre solaire est soumise au cycle jour/nuit et partiellement au cycle saisonnier.
- L’offre éolienne est fortement variable, elle est plus incertaine que l’offre solaire mais sa prévisibilité journalière s’améliore sans cesse.
C’est le nouveau cumul de la variabilité de demande et d’une partie croissante de l’offre qui impose pour réaliser à tout instant le fameux équilibre offre-demande l’impératif accru de nouveaux moyens flexibles dans nos systèmes électriques : batteries connectées au réseau, contrats d’effacement de demande ou d’écrêtement d’offre, incitations tarifaires, etc. Demain les batteries de véhicules électriques ou les stations à hydrogène.
Qu’il soit permis ici d’émettre l’opinion que les mécanismes de marché, d’une complexité toujours plus grande et les anticipations des acteurs de marché (par définition déterminées par leurs intérêts propres et non corrélées) induisent une variabilité et une incertitude de l’offre supplémentaires qui peuvent s’avérer contre-productives du point de vue de la maîtrise de l’équilibre du système électrique. Ainsi les épisodes de prix négatifs observés sur les marchés de gros (conséquences de l’excès relatif d’offre solaire en journée notamment les jours fériés), génèrent de par les comportements non-coordonnés des producteurs des situations 'extrêmement tendues” pour l’équilibre du système électrique ainsi qu’en attestait un courrier de RTE Réseau de transport d’électricité aux acteurs du système électrique le 11/04/2025. »
La culture de sûreté du système électrique doit être partagée par tous les acteurs qui y contribuent
« C’est donc sous un visage entièrement nouveau que se présente aujourd’hui l’équilibrage de l’offre et la demande en électricité. On n’évoquera pas ici par manque de place les multiples défis posés par ce nouveau contexte très bien décrits dès 2021, notamment dans un excellent article de La Revue de l’Énergie (Les défis posés par les EnR Énergies renouvelables variables aux systèmes électriques - Revue de l’Energie n° 654 - janvier/février 2021 - Caroline Bonno, Marie-Anne Evans, Etienne Monnot, Emmanuel Neau, Grégoire Prime) qui relevait par exemple l’épineux sujet du rôle essentiel des machines tournantes dans le réglage de la fréquence.
La garantie de cet équilibre à toutes les échéances reste pourtant plus que jamais essentielle à nos économies et la culture de sûreté du système électrique doit être partagée par tous acteurs qui y contribuent, y compris les acteurs les plus récents. Il importe d’y accorder la même priorité et le même souci du long terme que par le passé. »
Ivan Saillard, chef de département à la direction des Affaires publiques d’Enedis

Ivan Saillard
Chef de département à la direction des Affaires publiques @ Enedis
Consulter la fiche dans l‘annuaire
Parcours
Chef de département à la direction des Affaires publiques
Directeur Ille-et-Vilaine
Chargé des relations extérieures
Établissement & diplôme
Section économique et financière
Diplôme d’ingénieur
Fiche n° 54129, créée le 26/05/2025 à 17:42 - MàJ le 26/05/2025 à 17:56