« Si l’UE arrête le GNL russe, Poutine n’aura plus de quoi financer la guerre » (Adina Revol, Sciences Po)

News Tank Energies - Paris - Interview n°413243 - Publié le
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©  D.R.
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« Le fonds souverain russe touche à sa fin. Si l’UE Union européenne arrête d’acheter du GNL Gaz naturel liquéfié russe, Vladimir Poutine n’aura plus de quoi financer la guerre contre l’Ukraine. Donald Trump n’aura plus d’excuse pour ne pas mettre de sanctions secondaires sur les autres grands clients de la Russie, l’Inde et la Chine. La pression sera ainsi mise sur ces alliés objectifs de la Russie, pour qu’ils arrêtent d’acheter des hydrocarbures russes », déclare Adina Revol, auteur de « Rompre avec la Russie, le réveil énergétique européen » (éd. Odile Jacob, 2023) et enseignante à Sciences Po Paris, à News Tank le 01/10/2025.

Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a proposé d’interdire les importations de GNL russe sur les marchés européens dès le 01/01/2027, lors de la présentation du 19e train de sanctions contre la Russie, le 19/09/2025. La proposition de la Commission doit encore être approuvée à l’unanimité par les États membres pour entrer en vigueur.

« La proposition contourne un potentiel veto de la Slovaquie et de la Hongrie, car elle ne concerne que le GNL, ce qui signifie que ces États encore dépendants du gaz russes pourront continuer à en avoir par gazoduc. Il n’empêche que l’unanimité reste compliquée à trouver. »

Adina Revol répond aux questions de News Tank.


Le 19e train de sanctions contre la Russie, incluant la fin des importations de GNL russe dans l’UE, peut-il faire l’unanimité ?

En mars 2025, seule l’utilisation des ports européens par des navires russes transportant des hydrocarbures a été interdite, et non le GNL, pour deux raisons. D’une part, les sanctions doivent faire plus de mal à l’économie russe qu’à l’économie européenne, et priver l’UE de gaz russe aurait causé des dommages. De plus, certains États membres comme la Hongrie et la Slovaquie, des alliés objectifs du Kremlin, consomment toujours du gaz russe, et ils n’étaient pas favorables à une sanction plus forte.

Aujourd’hui la situation de l’UE a changé. Elle est moins dépendante en gaz russe, elle a des contrats pour du gaz américain et norvégien, elle peut donc plus sereinement proposer une sanction contre le GNL russe. De plus, la proposition contourne un potentiel veto de la Slovaquie et de la Hongrie, car elle ne concerne que le GNL, ce qui signifie que ces États encore dépendants du gaz russes pourront continuer à en avoir par gazoduc. Il n’empêche que l’unanimité reste compliquée à trouver.

Pour rappel, pendant longtemps ce furent l’Espagne, la France et la Belgique qui bloquaient ce type de sanctions sur le GNL, car une grande partie arrive dans leurs terminaux. TotalEnergies a notamment des contrats “take or pay” avec Novatek, une entreprise russe, et l’État français n’était pas favorable à ce que des indemnités de compensation soient payées pour du gaz sans en disposer.

Pourquoi cette sanction est-elle proposée de nouveau, avec une mise en œuvre au 01/01/2027, alors que le 01/01/2028 était initialement prévu ?

Au départ, la Commission avait proposé une interdiction de l’achat de gaz russe sur la base juridique de la politique commerciale ; là elle va plus loin, avec un régime clair de sanctions, et plus rapidement. Nous avons déjà perdu assez de temps, d’autant que du GNL non russe est disponible depuis longtemps sur le marché global. Simplement, il est plus cher.

La pression politique a augmenté »

La pression politique a augmenté, avec notamment Donald Trump qui a mis un coup de pied dans la fourmilière et a exigé de l’UE qu’elle arrête d’importer du gaz russe. L’UE et ses États membres ont agi en effet avec une certaine hypocrisie : d’un côté, elle finance de manière indirecte la guerre en Ukraine en payant à la Russie, depuis le début du conflit en 2022, 214 Md€ pour lui acheter des combustibles fossiles tout en versant 164 Md€ d’aide pour la reconstruction en Ukraine. C’est absurde.

Je ne dis pas qu’il faut être dépendant des États-Unis, mais on peut l’accepter à court terme pour pouvoir arrêter de financer la guerre russe. Vladimir Poutine finance sa guerre sur les exportations d’énergies fossiles. Or, le fonds souverain russe, qu’il a créé avant la guerre, touche à sa fin. Si l’UE arrête d’acheter du GNL russe, Vladimir Poutine n’aura plus de quoi financer la guerre.

Donald Trump n’aura plus d’excuse pour ne pas mettre de sanctions secondaires sur les autres grands clients de la Russie, l’Inde et la Chine. La pression sera ainsi mise sur ces alliés objectifs de la Russie, pour qu’ils arrêtent d’acheter des hydrocarbures russes.

Quel peut être l’impact de cette annonce de sanction sur les États ?

14 États membres n’importent plus de gaz russe »

Le gaz russe est le moins cher à extraire, donc il peut y avoir un impact financier pour le prix de l’énergie. Mais ce surplus tarifaire peut être compensé par une baisse des taxes. Dans la plupart des États membres, il y a 30 % de taxes sur l’énergie, et cela pèse sur le pouvoir d’achat des citoyens. Donc la réflexion à avoir, c’est au niveau de la fiscalité.

14 États membres ont déjà arrêté d’importer du gaz russe, donc la question est avant tout juridique maintenant : avoir le droit d’arrêter des contrats en cours avec la Russie. J’ajoute que la France est le pays qui importe le plus de gaz russe en Europe. Il est temps qu’elle cesse le discours hypocrite du « en même temps ». Nous sommes à un moment charnière pour arrêter le GNL russe.

Quelle est la réaction de la Russie à cette menace de sanction ?

La Russie intensifie les attaques hybrides contre l’Europe, à commencer par la France. En République de Moldavie, elle a mené une opération de forte intensité pour essayer d’installer un régime pro-russe, sans succès. La Russie envoie aussi des drones, organise des opérations de désinformation dans le but de faire peur. Une forme de pression est mise sur les États européens, car le Kremlin sait que sa survie financière est en jeu.

Adina Revol
Autrice et enseignante à Sciences Po Paris
adina.revol@gmail.com