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UE/Interconnexion électrique : « Les logiques nationales prévalent » (B. Luscan, SuperGrid Institute)

News Tank Energies - Paris - Entretien n°321829 - Publié le 16/04/2024 à 17:00
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Bruno Luscan - ©  www.lotfidakhli.fr

« En matière de réseau de transport électrique, les logiques nationales prévalent. Or, il y a tout intérêt à déployer des réseaux de transport en courant continu qui bénéficieraient à plusieurs pays. Le mot clé, c’est l’orchestration », déclare Bruno Luscan, directeur technique du SuperGrid Institute, entreprise spécialisée en systèmes et technologies pour le courant continu, à News Tank le 16/04/2024.

« On ne peut pas avoir un système électrique optimal en permettant une liberté des initiatives de chaque pays, où chacun voit midi à sa porte. Le problème, c’est que la planification des réseaux - c’est-à-dire le développement des infrastructures de transport - reste essentiellement à la main des opérateurs nationaux. En Europe, ils sont 42. »

Un Conseil Énergie informel est organisé à Bruxelles (Belgique) les 15 et 16/04/2024. Les réseaux électriques sont l’un des sujets abordés.

64 GW Gigawatt de capacité supplémentaire de réseau de transport d’électricité transfrontalier devront être installés entre 2025 et 2030 selon l’étude TYNDP 2022 Systems Needs Study de l’ENTSO-E. 24 GW de capacité supplémentaire seront ensuite nécessaires d’ici 2040.

Bruno Luscan répond aux questions de News Tank.


Quels sont les enjeux pour les réseaux électriques européens ?

Le premier sujet, c’est l’impact des réseaux au dérèglement climatique. Historiquement, ils ont été conçus pour fonctionner à une température allant de - 25°C à + 40°C. Leurs spécifications vont devoir évoluer pour aller vers + 50°C. D’un point de vue matériel, ce n’est pas une difficulté, on sait faire. Néanmoins, pour les gestionnaires d’infrastructures, mettre à jour les systèmes est un défi non négligeable. On parle de dizaines de milliers de kilomètres à faire évoluer - ou à déployer. Et les opérateurs du sud de l’Europe seront les plus challengés. Ils devront par ailleurs faire face à des événements plus difficiles que la chaleur, par exemple des tempêtes de type tornade, pour lesquelles les réseaux n’ont pas été conçus. Les impacts devront être contenus ; c’est cela, la résilience attendue des réseaux. 

L’autre enjeu, c’est l’adaptation des réseaux pour qu’ils ne soient pas un facteur limitant dans la transition énergétique de l'UE Union européenne . Ils doivent intégrer davantage d’EnR et une augmentation de la consommation électrique.

Sur ce dernier point, qu’est-ce que cela change concrètement pour les réseaux de distribution et ceux de transport ?

Les réseaux de transport ne sont pas adaptés aux EnR lointaines et de fortes puissances »

Les réseaux de distribution n’ont pas été conçus pour des flux remontants, la puissance allant vers le consommateur. Inverser le flux joue sur la tension du système, son contrôle, la protection en cas d’incident, etc. Les logiques sont à revoir. Par ailleurs, ce sont des systèmes plutôt en courant alternatif, en moyenne tension, souvent enterrés. Ils sont connectés en un point au réseau de transport, puis connectés en plusieurs points pour rejoindre différents consommateurs. Ces systèmes de distribution ne sont pas en réseau ; une EnR Énergies renouvelables connectée à un système ne l’est pas à l’autre. Cela complique leur adaptation aux nouveaux flux.

Les réseaux de transport, eux, ne sont pas adaptés aux EnR lointaines et de fortes puissances, comme l’éolien en mer. Prenons cet exemple : l’UE vise 300 GW Gigawatt d’éolien offshore à horizon 2050. Non seulement il faudra les raccorder au réseau, mais il faudra aussi transporter cette énergie jusqu’au consommateur et la mutualiser, c’est-à-dire la rendre accessible à toute l’UE, pas uniquement à certains pays.

SuperGrid Institute plaide pour développer des réseaux de transport en courant continu. En quoi cette technologie est-elle à privilégier pour relever les défis que vous mentionnez ?

Il existe deux technologies pour raccorder une EnR au réseau de transport : le courant alternatif et le courant continu. Dans le cas d’une ferme éolienne en mer de 1 GW, composée de 100 machines disséminées en mer, l’objectif est de récolter et rassembler la puissance en un point puis de la transporter. On déploie une sous-station électrique en mer pour cela. Si le courant est continu, il peut accueillir une puissance plus forte et raccorder une ferme plus éloignée. C’est l’un des intérêts de cette technologie. L’autre, c’est de raccorder des États membres de l’UE entre eux, en passant sous la mer. 

À propos des interconnexions des réseaux de transport de l’UE, où en est-on ?

L’UE a fixé des objectifs d’interconnexions d’environ 15 % par pays »

Il faut les renforcer dans le cadre du marché commun de l’électricité. Historiquement, le réseau de transport européen s’est constitué à partir des réseaux nationaux, et au départ il y avait peu d’échanges de forte puissance entre les pays. De plus, le système actuel est basé sur une production dispatchable : celui qui opère un réseau est en mesure de demander à une centrale de démarrer ou de ralentir pour s’adapter aux besoins. Avec les EnR intermittentes, le système n’est plus dispatchables de la même manière et les échanges entre États augmentent, et ils doivent couvrir davantage de distance. Ces évolutions justifient de renforcer les interconnexions.

L’UE a fixé des objectifs d’interconnexions d’environ 15 % par pays de son parc national installé. Pour certains, c’est difficile à atteindre. Par exemple, entre la France et l’Espagne, on n’y est pas. 

Les interconnexions se font également en courant continu, avec des réseaux enterrés. Ainsi, on n’est pas obligé de construire de nouvelles lignes aériennes, ce qui n’est plus facilement accepté en Europe occidentale. La difficile acceptation sociale complexifie les procédures administratives, rallonge les délais et rend l’issue incertaine. 

Il existe un mécanisme pour l’interconnexion en Europe destiné à aider au financement des projets. Une amélioration rapide de la situation est donc soutenue par l’UE…

Il faudrait d’autres mécanismes structurants pour favoriser une infrastructure allant au-delà des intérêts nationaux. La Commission européenne met en place de l’incitatif puis elle laisse faire. Or, on ne peut pas avoir un système électrique optimal en permettant une liberté des initiatives de chaque pays, où chacun voit midi à sa porte. Le problème, c’est que la planification des réseaux - c’est-à-dire le développement des infrastructures de transport - reste essentiellement à la main des opérateurs nationaux. En Europe, ils sont 42. En matière de réseau de transport électrique, les logiques nationales continuent donc de prévaloir. Or, il y a tout intérêt à déployer des réseaux de transport en courant continu qui bénéficieraient à plusieurs pays. Le mot clé, c’est l’orchestration.

Le besoin se heurte par ailleurs aux habitudes des opérateurs. Habituellement, ils confient la réalisation d’un système de transport d’électricité HVDC entre les points A et B, à un industriel qui fournit la station A et la station B qui seront reliées. Ceci simplifie les spécificités que doit donner l’opérateur. Or, pour créer un réseau continu, il faut pouvoir acheter séparément plusieurs stations, ce qui nécessite de spécifier de façon complète et détaillée les sous-systèmes constitutifs du grand système. Et là, les opérateurs ne savent pas faire, surtout pour que l’ensemble fonctionne avec différents fournisseurs. 

Au-delà de la décision des opérateurs, il y a également des verrous techniques, notamment l’interopérabilité entre fournisseurs. Des travaux pour aller vers des systèmes multi-terminaux et multi-fournisseurs, coordonnés par SuperGrid Institute, sont menés depuis début 2023 en ce sens dans le cadre de Horizon Europe Horizon Europe est le programme de recherche et d’innovation de l’Union européenne pour la période allant de 2021 à 2027. Il succède au programme Horizon 2020. . L’objectif est, à terme, d’avoir un réseau qui offre plusieurs chemins pour relier un producteur à un consommateur.

Quels sont les pays d’Europe les plus en avance sur le sujet ?

Des verrous techniques, notamment l’interopérabilité »

L’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Belgique et la Norvège sont en avance de phase. Ensuite, la Pologne bouge plus doucement. La France, elle, connaît une situation assez spécifique : c’est le seul pays où le parc nucléaire représentant une base aussi importante de l’électricité par rapport à son besoin, et il est « traversant » pour interconnecter l’Espagne et dans une moindre mesure l’Italie. La France a moins besoin d’avancer rapidement pour renforcer son réseau de transport  car elle a moins besoin d’intégrer des EnR, mais dans le même temps sa position géographique l’oblige à se projeter sur une infrastructure pour transporter de l’énergie vers ses voisins. Dernièrement, RTE Réseau de transport d’électricité a beaucoup travaillé sur sa stratégie de renforcement du réseau, avec de gros investissements sur les 30 à 40 prochaines années notamment pour renouveler l’existant. 

L’UE est-elle souveraine pour produire les équipements qui serviront au déploiement de ses réseaux ?

L’industrie européenne est plutôt en avance sur le courant continu et système HVDC High Voltage Direct Current (courant continu à haute tension). Toutefois, la demande va exploser et la capacité industrielle de l’UE ne sera pas alors plus suffisante. Il faudrait multiplier par 10 le rythme de développement des systèmes par rapport à aujourd’hui. Sans quoi une partie des équipements sera produite en Asie, principalement au Japon, en Corée du sud et en Chine. 

SuperGrid Institute

Entreprise experte en systèmes électriques.
• Statut : Institut de transition énergétique (plateforme interdisciplinaire dans le domaine des énergies décarbonées, rassemblant les compétences de l’industrie et de la recherche publique dans une logique de co-investissement public-privé).
• Missions :
- Identifier et lever des verrous technologiques
- Codévelopper des solutions et des produits
- Proposer des services d’essai, d’expertise et d’étude
• Création : 2014
• Effectifs  : 155 collaborateurs (2023)
• Président : Michel Serra
Directeur général : Hubert de la Grandière
• Contact : Amiel Kaplan, responsable communication
• Tél. : 07 71 32 28 98


Catégorie : Divers privé


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Fiche n° 15590, créée le 15/04/2024 à 17:51 - MàJ le 18/04/2024 à 09:36


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