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Debrief : « Le NZIA, la fin de l’Europe naïve » (Christophe Grudler, député européen)

News Tank Energies - Paris - Débrief n°315266 - Publié le 20/02/2024 à 17:00
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Debrief avec Christophe Grudler le 15/02/2024 - ©  News Tank

« Le NZIA Net zero industry act est la fin d’une Europe naïve. Le fait que certains profitent des marchés publics européens sans un retour équitable sur leur propre marché est un temps révolu », déclare Christophe Grudler Député européen @ Parlement européen
, député européen (Renew), lors du Debrief énergies organisé par News Tank le 15/02/2024.

« Si nous croyons évidemment à l’économie de marché, le principe d’autonomie stratégique européen est la solution pour prendre notre destin entre nos mains. Cela n’empêche pas des partenariats avec les États-Unis ou l’Asie, le tout dans le respect et sans n’être que des supplétifs. »

Nucléaire, hydrogène, solaire et enjeux de souveraineté européenne à l’heure de la mise en œuvre du Pacte Vert : News Tank rend compte des échanges.


« Une réponse à l’IRA Inflation Reduction Act - loi américaine sur la réduction de l’inflation américain »

  • « Le NZIA Net zero industry act est une réponse à l’IRA américain qui représente 400 Md$ (371 Md€) de soutiens indirects aux technologies propres sur le sol des États-Unis. Le NZIA n’est pas un fonds mais un règlement, et cela est extrêmement important pour les différents secteurs énergétiques. L’intérêt du règlement, dès lors qu’il est validé, est qu’il s’applique partout, tout de suite. Et il n’y a pas ces fameuses histoires, qu’on aime bien en France, de transposition et de surtransposition avec, in fine, un report de plusieurs années.
  • Là, c’est vraiment une réponse immédiate avec le règlement. Certains n’aiment pas cela parce que c’est une atteinte à la souveraineté des États membres car cela s’impose à tout le monde. Mais à un certain moment, si on est d’accord sur les objectifs, les règlements sont quand même bien pratiques. J’aime cette formule qui permet d’avoir des réponses plus rapides, car à 27, il n’est jamais facile de mettre tout le monde d’accord autour de la table. Et face à l’IRA, il fallait une réponse rapide.
  • Le NZIA n’est pas un fonds, mais un portail qui permet tout d’abord de bénéficier du fonds européen “Plateforme des Technologies Stratégiques pour l’Europe”. Malheureusement, pour l’instant, ce fonds n’est doté que de 1,5 Md€ seulement de soutien aux filières. Sachant qu’à l’origine il y avait 10 Md€ et que Charles Michel, le président du Conseil, a choisi de transférer le reste du fonds vers l’aide à l’Ukraine. En politique, j’estime qu’on peut trouver une cote un peu mieux taillée, dans la mesure où les 10 Md€ n’étaient déjà pas suffisants. J’avais estimé qu’il nous fallait 80 Md€. Si nous voulons vraiment aider, il faut 80 Md€ de fonds de souveraineté. À cela, plusieurs Etats membres ont résisté et n’ont pas voulu de ce fonds.
  • À côté de cette aide directe de 1,5 Md€, la “Plateforme des Technologies Stratégiques pour l’Europe” est un portail sur les autres fonds européens. Cela permet de bénéficier par exemple de fonds structurels régionaux. Et puis cela permet également de lancer des alliances européennes et par conséquent des Piiec,  Projet important d’intérêt européen commun et donc des autorisations d’aides d’État. Pratiquement toutes les technologies qui sont listées peuvent potentiellement générer une alliance européenne et donc des financements d’État.
  • Les négociations en trilogue ont été compliquées car le texte du Parlement européen était loin du texte du Conseil. Il y a un point sur lequel nous nous sommes retrouvés. J’ai réussi à rajouter dans le texte la présence de tout le nucléaire, y compris les combustibles en sus des SMR Small Modular Reactor de troisième et quatrième génération. Un ajout validé par le rapporteur allemand du texte - comme quoi tout est possible - et donc c’est assez consensuel.
  • Et le Conseil de son côté, avec la minorité de blocage de la France qui est devenue une majorité, avait aussi rajouté le nucléaire. Donc ce point-là est tranché. Mais le point qui était le plus tendu, qui concerne notamment le solaire, concerne la préférence européenne dans les marchés publics. Je crois à fond en cela. Je ne me fais pas que des amis mais j’assume, le tout avec l’appui du commissaire européen Thierry Breton.
  • Désormais, 30 % des appels d’offres européens, ou 6 GW Gigawatt , seront soumis aux critères de préférence européenne. 6 GW représente 30 % des appels d’offres allemands par exemple. C’est un bon début. Et moi-même, j’étais partisan à ce qu’il y ait un calendrier de mise en œuvre, mais qu’on arrive au 100 % en 2032 ou 2035 pour permettre notamment aux industriels de ces domaines-là de s’adapter. Il y avait au départ une opposition ferme des États membres et de la présidence belge du Conseil. Nous n’avons pas lâché et nous avons arraché les 30 %, en abandonnant le calendrier dans le texte. Il n’y a donc pas de trajectoire officielle, et cela est assez pénible.
  • Un “NZIA 2” est possible pour définir la trajectoire sur les marchés publics en lien avec le mécanisme de la pollution carbone aux frontières par exemple, qui peut être extrêmement intéressant. C’est-à-dire qu’avant que le panneau photovoltaïque chinois n’arrive sur le marché, il peut devoir montrer son empreinte carbone. L’idée permettrait d’avoir ce qu’on appelle le “level playing field”, c’est-à-dire un niveau de compétition équitable. Il ne faut pas oublier que si les panneaux photovoltaïques chinois sont aussi peu chers, c’est parce qu’ils ont été shootés aux subventions publiques chinoises pendant des années. C’est la raison pour laquelle nous avons une distorsion de concurrence aujourd’hui. Il faut par conséquent être extrêmement vigilants là-dessus.
  • Le NZIA est la fin d’une Europe naïve. Le fait que certains profitent des marchés publics européens sans un retour équitable sur leur propre marché est un temps révolu. Si nous croyons évidemment à l’économie de marché, le principe d’autonomie stratégique européen est la solution pour prendre notre destin entre nos mains. Cela n’empêche pas des partenariats avec les États-Unis ou l’Asie, le tout dans le respect et sans n’être que des supplétifs.
  • L’industrie sera une cause majeure d’ici 2029. Et on a vraiment cette volonté européenne de pousser les questions industrielles après une erreur d’analyse, il y a 15 ans, en laissant toute la production en Asie, et la matière grise et les capitaux en Europe. »

Debrief avec Christophe Grudler le 15/02/2024 - ©  News Tank
 

Le cas du nucléaire

  • « Le nucléaire est le dernier domaine hyper clivant en termes d’énergie au niveau européen. Quand vous discutez avec les Autrichiens par exemple, il faut vraiment s’accrocher quand on leur explique que leurs STEP Station de transfert d’énergie par pompage fonctionnent parce qu’ils achètent de l’électricité nucléaire. En Autriche, tout le monde est antinucléaire et aucun parti politique n’est prêt à assumer le fait de se déclarer pro-atome. Je pense qu’il faut venir avec une certaine forme d’intelligence sur cette question-là.
  • Sans vouloir être catalogué pro-nucléaire, je fais mon travail en disant que nous avons besoin du nucléaire pour atteindre le Green deal Pacte vert : ensemble d’initiatives politiques proposées par la Commission européenne dans le but primordial de rendre l’Europe climatiquement neutre en 2050 . C’est comme cela que j’ai créé l’intergroupe de 120 membres sur le nucléaire avec cinq groupes politiques. Le Green deal, c’est l’objectif majeur de l’Union européenne. On veut l’atteindre en 2050.
  • L’étude de la Commission européenne réalisée en 2018 ‘Pour une planète plus propre’ dit qu’il faut au minimum 15 % d’énergie nucléaire dans le mix énergétique européen si on veut atteindre le Green deal. Il y a un besoin fort des énergies renouvelables et à côté il faut du nucléaire. Il n’y a pas le choix. Ce discours-là, pendant cette mandature, a énormément progressé en cinq ans.
  • Il y a des pays où c’est plus compliqué comme au Luxembourg ou en Allemagne. Ce qui change en Allemagne, c’est que nous sommes passés à une opposition de compétitivité. Vous connaissez beaucoup d’entreprises allemandes qui veulent s’installer en France parce que l’énergie est moins chère ? Non. Par contre, je connais beaucoup d’entreprises allemandes qui ont envie d’aller aux États-Unis parce que l’IRA leur fait un pont d’or. Donc la réponse, elle est européenne. On réforme notre marché d’électricité, on essaye d’avoir les prix le plus bas. Quand il y a besoin d’électricité en Allemagne, on est là pour vous fournir. On va trouver des accords sur l’hydrogène notamment. C’est pour moi une façon assez intelligente d’aborder les choses, et ceci dépassionne les débats.
  • C’est comme cela que nous avons pu créer l’Alliance européenne des SMR Small Modular Reactor le 08/02/2024, qui est plutôt une bonne nouvelle. Ma seule crainte est d’avoir des entreprises américaines ou coréennes qui imposent leur technologie. Je ne suis pas anti-américain, ni anti-Asie, mais je dis ‘Europe first’. On est là pour exister par nous-mêmes, pas pour exister par les autres. La notion européenne du SMR, c’est simple, ce sont les industriels européens qui doivent se mettre d’accord entre eux sur ce qu’ils veulent et après on peut faire des partenariats avec des Américains ou des Asiatiques. Nous avons aussi des parts de marché à conquérir, peut-être ensemble à l’autre bout du monde. Chaque chose en son temps.
  • Sur le nucléaire, il y a encore des textes sur lesquels il faut travailler, cela progresse, mais ce n’est pas gagné définitivement. J’y vois encore quelques enjeux. Il y a des projets de réforme de la taxonomie européenne. Je pense que sur les cinq prochaines années, il va falloir être très vigilants là-dessus. Il y a aussi l’avenir de RED Renewable energy directive . La directive sur les énergies renouvelables est très importante, mais il ne faudrait pas que cela soit quelque chose d’exclusif empêchant l’émergence d’énergies bas carbone à côté.
  • En clair, si vous fixez un objectif industriel à 100 % de renouvelable pour l’hydrogène, il n’y a plus de place pour autre chose. Un député slovène a rappelé en commission Itre Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie que, ce 15/02/2024, l’Allemagne avait émis 451 grammes de CO2 par kWh kilowattheure produit, contre 45 grammes pour la France, soit 10 fois moins. Comment peut-on dire que les Français n’atteignent pas leurs objectifs climatiques alors que c’est le pays qui dégage le moins de CO2 au niveau européen ?
  • Avec le nouveau Parlement européen et la nouvelle Commission, Roland Lescure, qui a remplacé Agnès Pannier-Runacher sur le dossier de l’énergie, devra prendre le relais pour poursuivre notamment le travail de fond effectué par la ministre sur le sujet de la neutralité technologique. Le sujet doit continuer à être incarné. Il faudra par exemple aller à Bratislava échanger avec le ministre après 5 h de séminaire, parce que ces dossiers n’avancent pas si on ne prend pas le temps. On ne peut se permettre de prendre un Thalys et de repartir au bout d’une heure de réunion. Ce sont des dossiers qu’il faut traiter en profondeur. Il faut de la convivialité et que la France continue à incarner cela.
  • RED peut évoluer en une sorte de directive énergie décarbonée, sans être au détriment des renouvelables. Il faut donc faire une place pour les autres énergies qui sont décarbonées. Il faut se bagarrer là-dessus. »

Le cas de l’hydrogène

  • « Le développement de l’hydrogène ces dernières années ne m’a pas surpris dans la mesure où le Green Deal posait, au départ, l’électrification comme grand principe de base. Sur le transport lourd, l’industrie, on utilisera d’autres moyens comme l’hydrogène. En 2019, la feuille de route avançait des chiffres pour l’H2 Hydrogène de 500 Md€ d’investissements et un million d’emplois en 2050.
  • Entre temps, Frans Timmermans, ex-commissaire européen en charge du Green deal, a fait une faute majeure dans le cadre de Repower EU en proposant 20 millions de tonnes d’hydrogène dans l’Union européenne en 2030 - 10 millions de tonnes produites en Europe et 10 millions de tonnes importées, uniquement renouvelables. L’hydrogène bas carbone n’existait pas pour lui.
  • Après m’être prononcé contre les quotas d’importation de l’hydrogène, il faut reconnaître qu’on n’arrivera pas atteindre nos objectifs sans importation.  
  • Nous sommes incapables de produire 20 millions de tonnes d’hydrogène en 2030. Le marché européen de l’hydrogène en 2024, c’est 10 à 11 millions de tonnes et presque uniquement de l’hydrogène gris. La France, c’est entre 800 000 et 1 million de tonnes. C’est à peu près 10 % de la consommation d’hydrogène.
  • Avant la crise, 64 % de l’énergie de l’Union européenne était importée. Nous avons axé notre politique sur une autonomie stratégique et énergétique. Quand on pose une éolienne, on fait à la fois du renouvelable, donc on décarbone, et en même temps on se place en autonomie, on dépend moins des autres.
  • Je suis confiant quand je vois, notamment en France, le succès des Piiec hydrogène. Nous avons 9 Md€ de soutien français sur la filière. Il y en a autant en Allemagne et il y a vraiment beaucoup d’entreprises qui s’y mettent. J’ai plutôt confiance. On a voté dans RED le principe de la non additionnalité, ce qui permet au marché de démarrer.
  • Je milite pour que l'Ademe Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie en France continue à aider l’installation de réseaux urbains pour les bus, pour les transports en commun, pour les véhicules utilitaires, pour les zones industrielles, etc. Je pense qu’il faut continuer à aider au développement du modèle, peut-être réfléchir sur certaines formes de stationnaire hydrogène utiles pour des groupes électrogènes. Il y a un certain nombre d’applications sur lesquels nous n’avons pas encore assez travaillé. On peut et on doit trouver une évolution réglementaire ou législative pour permettre le développement de nouveaux usages.
  • Du côté des importations, cela doit se gérer avec du co-développement. Le Maroc, par exemple, qui veut développer une filière hydrogène, pourrait bénéficier de notre aide pour développer le réseau électrique et l’accès à l’électricité du pays, et exporter vers nous de l’hydrogène propre. En somme, un modèle vertueux de co-développement. »

L’élargissement à l’Ukraine, un changement du marché ?

  • « Sur l’intégration potentielle de l’Ukraine et de la Moldavie dans l’UE Union européenne , on aura beaucoup plus de MW Mégawatt qui arriveront sur l’Union européenne. Il y a tellement besoin d’électricité dans l’Union européenne que je pense que cela peut être une opportunité. Je ne dis pas que EDF Électricité de France ne peut pas tout faire, mais quand même. Nous devons doubler la production électrique dans l’Union européenne pour réussir le Green deal. Cela ne sera pas une concurrence. Cela sera un apport bénéfique, donc autant négocier les meilleures choses.
  • Sur la réforme du marché européen d’électricité, c’est plutôt un bon signal prix même s’il y a eu des aléas. Les 150 Md€ récoltés auprès des fournisseurs qui ont fait d’énormes bénéfices grâce au contexte de guerre et de prix à la hausse ont été redonnés aux États membres pour qu’ils puissent faire des chèques énergie auprès des plus pauvres. La solidarité européenne a pu jouer son rôle.
  • Sur la question des concessions hydrauliques, je pense qu’il y a un moment où on peut vivre avec un peu notre spécificité et essayer de défendre notre modèle, essayer de négocier des dérogations et aussi proposer notre modèle aux autres. Peut-être que cela peut intéresser d’autres pays. Et il est rare que quand la France dit quelque chose, ce ne soit pas un petit peu écouté. »

Le bilan de la mandature 2019-2024

  • « C’est un mandat qui a été très difficile parce qu’en fait, on est parti en 2019 avec un objectif qui était énergétique et climatique avec le Green deal, et on a dû le tenir pendant cinq ans malgré le Covid, le plan de relance européen, la guerre en Ukraine puis la crise de l’énergie.
  • Gouverner, c’est prévoir. Et je trouve qu’on s’en est plutôt bien tiré au niveau européen, nous avons montré que la solidarité européenne, ce n’était pas rien. Nous avons montré qu’ensemble nous étions plus forts.
  • Désormais, l’UE doit poursuivre la réindustrialisation et avoir un objectif industriel très fort. Ce n’est pas juste la production industrielle, c’est aussi les services qui vont avec, la formation, tout l’écosystème. On s’aperçoit qu’on veut développer, réindustrialiser, et qu’on n’a pas forcément les personnels qui veulent venir travailler là-dessus. C’est un enjeu essentiel. »

 

 

Christophe Grudler


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Fiche n° 46538, créée le 23/06/2022 à 13:51 - MàJ le 17/07/2024 à 15:57


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